Publié le 6 juin 2019

La livraison verte, condition d’une ville durable

Philippe Wahl, président-directeur général du Groupe La Poste, était présent au salon Vivatech le 17 mai pour une conférence-interview sur l’expansion du e-commerce, ses impacts sur l’environnement urbain, et les solutions qui permettent d’y remédier. Retranscription de ses échanges avec Nicolas Barré, directeur de la rédaction du quotidien Les Échos.

Devenir leader de la logistique verte

NICOLAS BARRÉ Je suis ravi d’accueillir Philippe Wahl, président de La Poste. (…) C’est une institution fascinante, car elle fait partie de la vie de tous les citoyens, et en même temps, vous êtes au cœur de profonds bouleversements. Vous travaillez sur cela depuis plusieurs années maintenant. Aujourd’hui, nous allons nous concentrer davantage sur une question essentielle : la transformation des villes et de la vie urbaine. En effet, dans de nombreuses grandes villes, le commerce en ligne rencontre un tel succès qu’il a créé de nombreuses difficultés. Je voudrais commencer par une question concernant votre point de vue sur la façon dont les villes se transforment.

PHILIPPE WAHL Merci, et bonjour à tous. En fait, vous savez, le commerce en ligne ne transforme pas seulement notre vie, mais aussi notre vie urbaine. Pourquoi ? Faisons le calcul. Le commerce en ligne progresse de 10% par an. Ce qui signifie que dans sept ans, le nombre de colis, le nombre de véhicules de livraison auront doublé. Voilà le problème. Le commerce en ligne pourrait entraîner plus de pollution, de congestion dans toutes les grandes villes.

NICOLAS BARRÉ Comment y faire face ?

PHILIPPE WAHL C’est le problème, et c’est pour cela que nous avons inventé la logistique urbaine, sur laquelle nous poursuivons notre travail. Il s’agit d’un projet entre La Poste et des grandes villes visant à remédier aux problèmes de congestion et de pollution qui se posent à des millions de personnes vivant en zone urbaine. L’idée est très simple. Elle consiste en un double engagement. Le nôtre,  celui de La Poste, c’est de livrer tous les colis, les lettres et les services en utilisant des voitures électriques, des vélos et des camions électriques. Celui des villes, c’est de réglementer les livraisons de marchandises à l’intérieur des zones urbaines.

NICOLAS BARRÉ Vous attendez donc des autorités locales qu’elles mettent en place une réglementation plus stricte que celle que nous observons actuellement ?

PHILIPPE WAHL Précisément. (…) Là où, par exemple, il y a un million de livraisons aujourd’hui, vous en aurez deux millions dans sept ans. Les villes seront paralysées si nous ne faisons rien. La mission de la logistique urbaine consiste à travailler avec toutes les grandes villes françaises et européennes dans lesquelles nous sommes parmi les premières entreprises de logistique et de transport.

Un double engagement : du côté de La Poste, celui de réduire à zéro nos émissions de CO2 en zone urbaine ; du côté des municipalités, celui de réglementer les livraisons sur le même périmètre.

NICOLAS BARRÉ Pouvez-vous donner des exemples de villes plus à la pointe que les autres ?

PHILIPPE WAHL J’ai en tête deux exemples de villes françaises très en avance. La première est Grenoble, dans les Alpes. Et la deuxième est Bordeaux. Dans ces deux villes, nous menons des expériences avec les municipalités afin de développer des livraisons locales à empreinte carbone nulle. Cela représente un grand changement. Et cela nécessite de réorganiser toute notre infrastructure pour être à même d’effectuer nos livraisons de colis proprement, c’est-à-dire en vous les apportant sur des vélos ou des véhicules électriques : voitures, camions ou vélos. C’est ce qui est fait à Grenoble, Bordeaux, Toulouse. Aujourd’hui, nous avons conclu un accord avec dix-huit des vingt-deux plus grandes villes de France.

NICOLAS BARRÉ Il y a quand même la question des coûts. Y a-t-il un modèle économique sous-jacent ? Comment parvenez-vous à rendre ces exigences raisonnables d’un point de vue économique ?

PHILIPPE WAHL (…) Nous avons commencé à rendre nos véhicules plus écologiques il y a 10 ans, ce qui fait que nous détenons aujourd’hui la plus importante flotte de véhicules électriques du monde, avec pour la France, pas moins de 9000 voitures électriques, donc sans émissions de carbone. La logistique verte constitue un investissement, et il est coûteux, mais si les villes mettent en place une réglementation pour promouvoir l’absence d’émissions de carbone, nous en profiterons. C’est donc plus cher, mais plus écologique, et nous avons déjà des outils essentiels pour opter pour une livraison verte, même si c’est plus onéreux.

NICOLAS BARRÉ Que pensez-vous d’autres formes de livraison, par drone par exemple ?

PHILIPPE WAHL Il y a beaucoup de communication au sujet des drones. Aujourd’hui, nous utilisons un drone dans les Alpes maritimes, dans le sud de la France. Nous l’exploitons sur une ligne commerciale autorisée par le régulateur, uniquement dans les zones rurales.

NICOLAS BARRÉ Un seul drone ? Vous ne pensez pas qu’ils puissent avoir un avenir commercial ?

PHILIPPE WAHL Oui pour les zones rurales, mais pas dans les zones urbaines, pour le risque qu’ils représentent. Imaginez ce qui pourrait arriver avec des drones qui pèsent plus d’une demi-tonne, circulant au-dessus de nos têtes. Nous pensons que le drone représente une bonne solution pour les îles, les montagnes, les zones rurales. Nous allons donc les développer pour l’ensemble du territoire français, mais pas pour les grandes villes. Ce serait trop dangereux.

C’est la livraison verte qui va réellement dominer la logistique dans les grandes villes, parce que c’est la seule façon d’avoir une ville durable à l’avenir. Notre grand défi [dans ce contexte] : devenir leader de la livraison verte et de la logistique verte.

Philippe Wahl

président-directeur général du Groupe La Poste

NICOLAS BARRÉ Si nous réfléchissons plus à long terme, cinq ans, dix ans, comment imaginez-vous le rôle de La Poste dans les villes de demain ? Quel genre de nouveaux services pouvez-vous imaginer ? Quelle est votre vision à long terme de votre rôle et de la relation avec les grandes villes ?

PHILIPPE WAHL D’un point de vue logistique, comme je vous l’ai dit, il y a une menace de pollution et de congestion. Le grand défi est donc pour nous très simple : être leader de la livraison verte et de la logistique verte. C’est clairement la raison pour laquelle nous avons décidé de lancer, il y a maintenant cinq ans, un projet de logistique urbaine dans chacune des grandes villes de France. L’idée est de devenir leader de la livraison verte partout dans dix ans. Et c’est la livraison verte qui va réellement dominer la logistique dans les grandes villes, parce que c’est la seule façon d’avoir une ville durable à l’avenir. C’est notre façon de travailler. Cela veut dire que nous sommes aussi en mesure de livrer la nuit, parce que les véhicules électriques présentent l’intérêt d’être propres et sans émissions de carbone, mais aussi d’être très silencieux. Nous serons donc à même de livrer les colis d’une façon vraiment très moderne. C’est notre premier objectif. Notre deuxième rôle dans les villes est de pouvoir rendre visite à tout le monde. D’apporter des services, des services de proximité humaine, par exemple de rendre visite aux personnes âgées. C’est ce que nous appelons la Silver économie. L’avenir de La Poste est de devenir leader de la logistique verte dans dix ans, c’est-à-dire le numéro un de la logistique, et le leader de la Silver économie, des services à domicile.

NICOLAS BARRÉ Diriez-vous que vos clients sont prêts à payer plus cher pour une livraison verte ?

PHILIPPE WAHL Oui, et tout le monde devra payer plus cher. Parce que si vous voulez des villes durables, écologiques et plus propres, cela a un coût. La Poste ne vous dira jamais que cela peut être gratuit. Jamais. Parce que ce n’est pas gratuit. Et si ce n’est pas gratuit, nous devons payer et nous pensons que la bonne solution, ce sont ces réglementation et projets autour de la logistique urbaine. La bonne nouvelle est qu’après cinq ans de partenariat et de discussions avec des grandes villes, dix-huit en France – Paris, Nice, Bordeaux, Grenoble etc. – ont conclu un accord avec nous. Ce qui veut dire que les autorités locales, les citoyens, les hommes politiques ont bien compris que c’est leur avenir. Sans ambiguïté.